« Paideia » est un roman de science-fiction de Claire Garand, paru aux éditions La Volte en février 2023, un récit qui vous surprendra par son indéniable originalité et sa qualité littéraire. Une plongée dans un imaginaire qui démontre, encore une fois, que la littérature de science-fiction n’a pas son pareil pour nous inciter à réfléchir et à nous interroger sur notre nature et notre devenir en tant qu’être humain, ainsi qu’à l’avenir de notre monde en péril.
Une fillette pas comme les autres dans un sombre avenir
Une enfant surprenante
Quatre-virgule-deux est une fillette de sept ans à l’intelligence supérieure parce qu’améliorée génétiquement, vivant dans un avenir indéterminé. Elle dispose donc d’impressionnantes aptitudes intellectuelles et physiques, supérieures aux enfants de notre monde actuel.
Mais elle ne vit pas sur Terre : elle fait partie d’un groupe de dix fillettes en « résidence accompagnée » dans des stations construites en orbite autour de la Lune. Elles s’amusent, étudient, et sont constamment éduquées et préparées par leur « couple parental » pour une grande mission, fondamentale pour l’avenir de l’espèce humaine.
Un avenir incertain
La Terre a été empoisonnée, ravagée. Elle est donc devenue inhabitable. C’est pourquoi une poignée de ses habitants se sont réfugiés sur la Lune afin de s’y établir. Une tentative de survie de l’humanité avortée à la suite de la guerre fratricide menée par les derniers survivants, anciens et nouveaux colons fuyant la Terre défunte.
Le seul espoir de survie de l’espèce humaine réside donc dans le programme « Paideia », initié aux derniers temps de ces évènements dramatiques. Vous apprendrez alors que les dix fillettes devront descendre sur la Lune, créer une nouvelle société, en donnant naissance aux prochains enfants de l’humanité. Pourtant, leur rôle est un plus particulier et assez restrictif…
Un esprit rebelle et un rêve d’exploratrice
« Mars, elle, m’attend là-bas, belle et pure, jamais foulée. »
(Quatre-virgule-deux sous la plume de Claire Garand)
Bien que surdouée, Quatre-virgule-deux est un peu moins intelligente que les autres fillettes qui se moquent d’elle et lui infligent des humiliations et un harcèlement incessant. Loin de la réduire au silence et au statut de victime souffreteuse, ces brimades auront pour résultat de renfoncer son caractère et son désir de rébellion.
Contrairement à ses pseudo-sœurs qu’elle juge puériles, elle ne rêve que d’exploration spatiale et de conquête de la planète Mars. Elle refuse donc de participer au Projet Paideia et fera tout son possible pour réaliser son « impossible rêve ».
A-t-elle raison ou risque-t-elle de tout détruire sur son passage, telles les météorites se fracassant épisodiquement sur leurs stations orbitales ?
Thématique et interrogations
Avis et ressenti
Ce roman, qui ne ressemble à aucun autre, est passionnant et addictif. Le fait que la narratrice soit Quatre-virgule-deux elle-même nous rapproche de ce personnage hors du commun.
La lectrice que je suis est restée surprise et touchée par cette jeune héroïne malmenée qui veut s’échapper d’un univers qui l’emprisonne, pour étancher sa soif de nouveauté et réaliser son rêve d’étoiles lointaines, cette petite fille touchante qui raisonne comme une adulte mais qui recherche toujours l’amour de son père et de sa mère désignés, si fragile face à sa peur de l’abandon et pourtant si déterminée…
La rébellion
Claire Garand met aussi en avant la révolte d’une femme-enfant qui rejette le rôle qu’on lui assigne, prisonnière d’un carcan qui ne fait d’elle qu’un être réduit à enfanter en continu, une marionnette surdouée déshumanisée qui n’a lieu d’être que par sa fonction de « poule pondeuse ».
La perte d’humanité et le sentiment de différence et de solitude de la jeune Quatre-virgule-deux sont amplifiés par le fait qu’on ne connaîtra jamais son prénom alors que celui des autres fillettes nous est révélé.
La violence
« La douleur m’empêcha de de penser à la douleur et je ne me sentis pas hurler. » (Paroles de Quatre-virgule-deux sous la plume de Claire Garand)
A travers un texte percutant (et parfois innovant), l’écrivaine nous interroge ainsi sur la violence, la destruction et la cruauté propres à l’espèce humaine, des tares qui peuvent compromettre son avenir, celui de sa planète natale ainsi que ses désirs d’expansion au-delà des étoiles.
Est-ce que le futur de notre espèce doit être tributaire d’une bande de gamines surdouées mesquines et cruelles ? Est-ce que les fondements d’une nouvelle société doivent s’ériger sur les bases d’une violence répréhensible ou est-ce le propre de l’être humain de faire du mal à ses semblables ?
En conclusion
Tant d’interrogations poignantes surgissent ainsi à la lecture de ce roman profondément troublant…
Peut-on s’opposer aux diktats d’individus qui ont décidé de votre avenir à votre place ? Peut-on refuser de suivre une voie toute tracée qui semble inévitable ? Est-ce possible de se révolter et d’agir à contre-courant alors que le destin de l’humanité est en jeu ?
Le dénouement inattendu de cette fable spatiale (que je ne vous livrerai évidemment pas), m’a cependant laissée perplexe et incrédule, sidérée par ces évènements multiples et déroutants narrés dans le tout dernier chapitre. Je ne suis pas sûre d’avoir tout compris dans le déroulement ultime de ce vertige final. Ou peut-être n’ai-je pas voulu comprendre…
Je suis donc curieuse, amies lectrices, amis lecteurs, de connaître votre réaction et votre avis concernant les derniers paragraphes de ce roman…
En savoir plus
Pour information, sachez que Claire Garand a été lauréate du Prix Julia Verlanger 2023 pour son roman « Paideia ».
Sachez aussi que l’usage par l’autrice du mot « Paideia » (παιδεία), n’est pas innocent puisqu’il signifie en grec ancien, « éducation des enfants » et comprend l’ensemble des ressources pédagogiques et des instructions nécessaires pour faire de l’enfant grec, un être civilisé, un citoyen conforme et intégrable à la cité de de la Grèce antique. (Voir https://www.cairn.info/education-et-culture-dans-le-monde-grec–9782200262877-page-1.htm ).
L’autrice cultivée s’inspire de notre lointain passé où les jeunes filles de l’Hellade « étaient conditionnées pour devenir des mères au service de leur foyer et de leur patrie » (https://www.histoire-et-civilisations.com/thematiques/antiquite/grece-des-jeunes-filles-eduquees-pour-servir-75424.php ).